Maladie de Crohn : Quelle alimentation préconisée pour apaiser l'inflammation ?

Souffrir d’une maladie de Crohn bouleverse le quotidien ; l’alimentation se retrouve aussitôt au cœur des préoccupations. On entend qu’un repas peut soit calmer, soit attiser l’inflammation intestinale. Pourtant, les messages diffèrent d’une source à l’autre. Face à ces discours parfois contradictoires, il est utile de distinguer croyances populaires et données validées. Cet article passe en revue, de façon pédagogique, les connaissances fiables. Il s’appuie sur des recommandations scientifiques récentes. 

Par Stéphanie Le Guillou
Mis à jour le 03/06/2025 Temps de lecture : +4 min.

Qu’est-ce que la maladie de Crohn ?

La maladie de Crohn appartient aux maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) ; ce groupe rassemble aussi la rectocolite hémorragique. Le terme « chronique » signifie que l’inflammation persiste ou récidive sur le long terme. Les lésions peuvent toucher l’ensemble du tube digestif mais se concentrent le plus souvent sur l’iléon terminal et le côlon. Les poussées alternent avec des phases d’accalmie appelées rémission. Une sténose (rétrécissement) ou une fistule (canal anormal entre deux organes) peut survenir lorsque l’inflammation n’est pas contrôlée.

Quelles en sont les causes ?

La recherche décrit aujourd’hui une interaction complexe entre terrain génétique et facteurs environnementaux, dont l’alimentation. 

Microbiote intestinal déséquilibré

L’intestin abrite près de cent mille milliards de micro-organismes ; cet ensemble, appelé microbiote, agit comme un organe métabolique et immunitaire. Quand sa diversité s’appauvrit – c’est la dysbiose – certaines souches pro-inflammatoires prolifèrent. Des chercheurs ont montré que, chez 5 % des patients, des Escherichia coli adhérentes et invasives (AIEC) creusent la muqueuse et attisent la réaction immunitaire ; en parallèle, les bactéries « protectrices » comme Faecalibacterium prausnitzii reculent. L’équilibre se rompt alors : la muqueuse perd sa barrière, les antigènes bactériens pénètrent, la flamme inflammatoire s’alimente.

Prédisposition génétique

Plus de 170 loci de susceptibilité ont été cartographiés ; il s’agit de variations d’ADN qui, sans provoquer la maladie à eux seuls, abaissent le seuil de tolérance immunitaire. Le plus emblématique, NOD2/CARD15, code un récepteur chargé de reconnaître un fragment de paroi bactérienne ; muté, il laisse passer l’agresseur et multiplie jusqu’à quarante fois la probabilité de développer une maladie de Crohn. Des variantes affectant l’autophagie ou les jonctions serrées de l’épithélium complètent ce paysage héréditaire.

Facteurs externes et mode de vie

Le tabagisme double le risque de survenue et aggrave l’évolution : davantage de poussées, recours accru à la chirurgie, récidives précoces après résection. À l’inverse, l’arrêt complet entraîne, dès la première année, une baisse mesurable des rechutes. L’exposition répétée aux antibiotiques, surtout durant l’enfance, peut appauvrir le microbiote ; des épisodes de gastro-entérite aiguë ou une hygiène excessive pendant la période néonatale sont également discutés.

Alimentation et additifs : l’hypothèse des émulsifiants

Les régimes occidentaux fournissent des aliments ultra-transformés contenant des émulsifiants tels que la carboxyméthylcellulose (CMC, E466). Une étude clinique pilote révèle qu’une consommation de CMC pendant deux semaines modifie la composition bactérienne, appauvrit les métabolites anti-inflammatoires et rapproche les bactéries de la paroi intestinale ; chez l’animal, le même additif amplifie les colites expérimentales. Ces observations suggèrent qu’une exposition chronique pourrait abaisser le seuil de déclenchement chez les sujets génétiquement prédisposés.

Interaction dynamique

Aucune de ces influences ne suffit seule. C’est la conjonction d’une susceptibilité génétique, d’un microbiote perturbé et d’une exposition environnementale (tabac, additifs, peut-être microparticules ou métaux lourds) qui amorce et entretient l’inflammation. Cette vision intégrative explique pourquoi deux patients porteurs du même variant NOD2 connaissent des trajectoires si différentes : l’un fume et consomme des plats industriels riches en CMC ; l’autre, non. Le premier franchira plus facilement le seuil d’auto-agression immunitaire.

Quels symptômes associés à la maladie de crohn

Voici les symptômes principalement décrits : 

  • Douleurs abdominales : spasmes localisés dans la fosse iliaque droite ou généralisés, pouvant s’intensifier après les repas.

  • Diarrhées chroniques : plus de trois selles liquides par jour pendant plusieurs semaines.

  • Émission de sang ou de mucus : signal d’alarme qui nécessite un avis médical rapide.

  • Amaigrissement : conséquence d’une malabsorption (difficulté d’absorption des nutriments) et d’un apport oral réduit.

  • Fatigue profonde : résultat des carences en fer, folates, vitamine B12 ou simplement de l’inflammation systémique.

  • Manifestations extra-digestives : arthrite, atteintes cutanées (érythème noueux), inflammation oculaire. 

Quels sont les liens entre l’alimentation et la maladie de Crohn ?

L’alimentation agit comme un co-facteur silencieux de l’inflammation intestinale. Un excès de viandes rouges, d’aliments frits et de produits ultra-transformés, riches en émulsifiants et en sucres libres, favorise une dysbiose et augmente la perméabilité épithéliale, autant d’éléments qui alimentent la cascade inflammatoire chez les sujets génétiquement prédisposés. À l’inverse, un schéma alimentaire inspiré du régime méditerranéen – fruits, légumes variés, poissons gras, légumineuses tolérées, huile d’olive ou de colza – est corrélé à une incidence plus basse de MICI et à une activité clinique amoindrie, même en phase quiescente. Les cliniciens retiennent aussi la nutrition entérale exclusive, formule liquide complète utilisée chez l’enfant, capable d’induire la rémission au même titre que la corticothérapie, sans ses effets secondaires. Pourtant, aucun aliment unique ne déclenche systématiquement une poussée ; l’approche doit donc rester individualisée et évoluer avec la tolérance de chacun. 

Quel régime alimentaire adopter en cas d’inflammation des intestins ?

Aliments autorisés

Pendant les poussées, ces aliments sont généralement bien tolérés et apportent l’énergie indispensable.

  • Fruits mûrs pelés ou en compote : riches en fibres solubles (pectines) qui fermentent en acides gras à chaîne courte (SCFA), notamment le butyrate, protecteur de la muqueuse ; l’absence de peau réduit la friction sur un épithélium déjà fragilisé.

  • Légumes cuits sans fibres dures : la cuisson prolonge la gélification des fibres insolubles, diminuant l’irritation mécanique tout en préservant vitamines et amidons digestibles.

  • Féculents raffinés : riz blanc, pâtes blanches ou pain sans son fournissent un amidon rapidement absorbé, limitent le volume d’eau dans la lumière intestinale et réduisent la fréquence des selles ; la petite fraction d’amidon résistant produit aussi du butyrate.

  • Poissons gras riches en oméga-3: ils détournent la synthèse lipidique vers des médiateurs dits résolvines, modérant la production de cytokines pro-inflammatoires.

  • Huiles de colza ou de lin :  fortes en α-linolénate, précurseur végétal des oméga-3, et présentant un ratio oméga-6/oméga-3 bas, ce qui freine l’activation de la voie NF-κB.

  • Yaourts et fromages affinés : ils apportent des probiotiques (Lactobacillus, Bifidobacterium) capables de renforcer les jonctions serrées et de moduler la réponse TNF-α, tout en étant mieux tolérés que le lait.

  • Oeufs pochés : haute digestibilité protéique (> 97 %), faible teneur en lipides oxydés et présence de choline utile à la synthèse du mucus protecteur.

  • Viande maigre bien cuite : protéines nécessaires à la cicatrisation, peu de graisses saturées et absence de composés nitrosés si la cuisson reste inférieure à 180 °C.

  • Eau plate peu minéralisée : osmolarité basse, donc absorption rapide et hydratation efficace sans surcharge sodée qui pourrait accroître la sécrétion d’eau dans l’intestin.

Aliments à éviter de manger, qui aggravent l'inflammation intestinale

Il est important d'adapter l'alimentation en cas de maladie de Crohn. 

  • Aliments ultra-transformés riches en additifs : Les émulsifiants (carboxyméthylcellulose, polysorbate-80, carraghénane) rompent le mucus protecteur, accroissent la perméabilité et activent les voies de l'inflammation dans les cellules épithéliales. Cette cascade augmente la production de cytokines pro-inflammatoires chez les patients Crohn. Les cohortes prospectives confirment qu’un apport élevé d’aliments ultra-transformés augmente le risque de développer ou d’aggraver la maladie de Crohn.

  • Charcuteries fumées : Les nitrites qu'elles contiennent souvent forment des composés N-nitroso irritants pour la muqueuse, tandis que la fumaison et la cuisson longue génèrent des oxydants. L’excès de graisses saturées et de sel favorise une dysbiose pro-inflammatoire. Les méta-analyses sur la consommation de viandes transformées montrent un surrisque significatif de Crohn.

  • Préparations panées : La friture concentre l’acrylamide, molécule cytotoxique qui altère les jonctions serrées et augmente l’apoptose des entérocytes. Elle stimule en outre la libération locale de radicaux libres.

  • Sauces pimentées : À doses élevées, la capsaïcine (qui donne le goût piquant) abaisse la résistance électrique trans-épithéliale et ouvre les jonctions serrées, créant un passage accru d’antigènes bactériens vers la lamina propria. Cette hyper-perméabilité entretient l’inflammation.

  • Boissons très sucrées ou gazeuses : Les boissons sucrées apportent une charge osmotique importante, favorisent la pullulation bactérienne de l’intestin grêle et augmentent la production d’endotoxines. Les études de cohorte indiquent un risque plus élevé de poussées et de recours aux soins chez les consommateurs quotidiens de boissons sucrées. Par ailleurs, le gaz carbonique majore la distension colique et peut accentuer la douleur abdominale.

  • Alcool : L’éthanol perturbe la perméabilité, accélère le passage des lipopolysaccharides bactériens et stimule la libération de molécules pro-inflammatoires. Chez les patients atteints de la maladie de Crohn, une consommation régulière augmente la probabilité de rechute et aggrave les symptômes digestifs.

  • Café fort : La caféine déclenche la sécrétion de gastrine, accélère le transit colique et favorise la diarrhée.

  • Crudités fibreuses, légumineuses entières, céréales complètes : l’excès de fibres insolubles accentue les frottements mécaniques, majore la diarrhée et le risque d’occlusion. 

Quelle routine adopter pour le confort intestinal ?

Voici une proposition de routine pour optimiser le confort intestinal : 

  1. Au réveil : verre d’eau tiède citronnée pour stimuler la motricité sans agresser la muqueuse.

  2. Petit-déjeuner : porridge flocons d’avoine fins, lait végétal, compote de pomme.

  3. Milieu de matinée : marche de 15 minutes pour activer la circulation sanguine digestive.

  4. Déjeuner : filet de cabillaud vapeur, riz blanc, courgettes fondues ; mastication lente - une alimentation adaptée en cas de de maladie de Crohn.

  5. Après-midi : sieste flash de 20 minutes ou cohérence cardiaque pendant cinq minutes.

  6. Goûter : banane mûre écrasée, poudre de psyllium, pointe de cannelle.

  7. Soirée : repas léger riche en oméga-3 (sardines grillées).

  8. Avant le coucher : séance de respiration diaphragmatique.

Précautions d’usage

Toute supplémentation, même naturelle, nécessite l’avis d’un professionnel de santé pour éviter interactions et surdosage. Les conseils diététiques proposés n’ont pas vocation à remplacer un suivi médical spécialisé.

Conseil de l’expert

Adapter son alimentation en cas de maladie de Crohn ne relève pas simplement du confort digestif. Ajuster les apports, surveiller la qualité microbiotique et soutenir la barrière intestinale par des nutriments choisis constituent un élément à part entière de la prise en charge thérapeutique.  Un dialogue régulier avec le gastro-entérologue et le diététicien garantit une stratégie individualisée et évolutive, en fonction des symptômes. 

En savoir plus

Maladie de Crohn et rectocolite hémorragique (RCH) : même alimentation ?

Bien que ces deux MICI partagent des mécanismes inflammatoires, les localisations différentes imposent d’ajuster les textures et la teneur en fibres selon la tolérance individuelle.

Inflammation des intestins : que manger au petit-déjeuner ?

Porridge avoine instantanée, lait d’amande enrichi en calcium, purée de banane, goutte d’huile de lin ; un exemple simple qui répond à la problématique de l'alimentation pour les patients atteint de la maladie de Crohn. 

Quels sont les aliments absolument interdits en cas de maladie de Crohn ?

Lors d’une poussée de la maladie de Crohn , bannissez de votre alimentation charcuteries fumées, viandes rouges grasses, produits panés industriels, boissons alcoolisées, sodas caféinés, sauces pimentées, fritures et pâtisseries riches en graisses trans : ces choix augmentent la perméabilité muqueuse et exacerbent la dysbiose.

Zoom sur notre rédactrice pharmacienne et docteure en biologie moléculaire, Stéphanie LE GUILLOU

Stéphanie est pharmacienne (depuis 2010) et docteure en biologie moléculaire (depuis 2012). Passionnée de rédaction, elle écrit des contenus médicaux depuis près de 15 ans. Son objectif est de rendre accessible et compréhensible les informations, sans jamais perdre en justesse scientifique.

Bibliographie

1

Vidal. Maladie de Crohn. Septembre 2023.

2

Association française de formation médicale continue en hépato-gastro-entérologie. Nutrition et MICI : quoi de neuf ?. 2023.